Le fantasme en psychanalyse

La traversée du fantasme

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Lacan introduit pour la première fois, à la fin du séminaire sur l’angoisse, la notion de traversée du fantasme. L’être parlant est condamné à souffrir d’un écart irréductible entre jouissance et désir et, pour que le désir rencontre cette dernière, le sujet devrait « franchir le fantasme qui le soutient et le construit[1]», autrement dit, pour Lacan « franchir le fantasme, c’est franchir l’angoisse de castration ».Or, la « traversée du fantasme », Lacan n’en a parlé que deux fois, une première dans ce séminaire, et une deuxième fois dans le séminaire sur les quatre concepts fondamentaux, pourtant, elle a eu un succès considérable. Certains en parlent comme s’il s’agissait de l’Alpha et de l’Oméga d’une analyse, qu’une analyse est terminée lorsque l’analysant a « traversé son fantasme ». Alors, que signifie réellement « franchir le fantasme » ? Est-ce équivalent à la fin d’une analyse, si cette dernière est possible ? « Traverser » est un mot impliquant un avant et un après, qu’est-ce qui est « traversé » ? Et par la suite, que devient ce nouveau sujet, comment fait-il avec sa pulsion, avec ses relations amoureuses ? Par ailleurs, le roc de la castration constitue la butée de la théorie de Freud[2], un point indépassable dans l’analyse ; donc avec cette phrase, Lacan propose un moyen de dépasser ou contourner cette butée, il est « au-delà », ou plutôt, il déplace « l’indépassable » du roc de la castration à la structure du fantasme. Ce qui montre à quel point le fantasme est constitutif du sujet, et même fondamental chez le sujet mais aussi dans la cure ; d’ailleurs, Lacan parlera de fantasme fondamental. Comment et pourquoi le fantasme se forme-t-il ? Comment fantasme et symptôme, puisque c’est souvent ce dernier qui mène l’analysant à voir un analyste, sont articulés ? L’angoisse ouvre la question du fantasme, alors comment le fantasme répond à l’angoisse ? Pourquoi vouloir franchir cette angoisse ? Comment la cure et le transfert permettent ces franchissements ? On ne redémontrera pas en quoi la castration constitue un « roc » selon Freud, ni le fait que toute angoisse est angoisse de castration, ni n’abordera la passe qui est étroitement liée à la réflexion autour de la traversée du fantasme. Le parti pris théorique de cet article est freudo-lacannien. On essaiera de montrer comment une levée du voile sur le fantasme peut entraîner le sujet à assumer sa castration au-delà de la jouissance de l’objet. On commencera par l’origine, le réel traumatique, et ce qui a permis à Lacan de voir un possible dépassement dans la théorie et dans la clinique. Par la suite, on discutera du nouage effectué par le symptôme du fantasme et de la pulsion, pour définir la traversée du fantasme. Enfin, on essaiera de comprendre en quoi le fantasme devient pulsion par sa traversée.

À l’origine, un trou

Un fantasme fondamental

Fantasme vient de l’allemand Phantasien, Freud l’emploie pour désigner le vaste champ des productions imaginaires et rêveries diurnes, conscient ou non. Cependant, il se rapproche davantage de la pensée diurne parce qu’il n’a pas l’apparente incohérence du rêve, et donc il ne se laisse pas déchiffrer comme tel. C’est pourquoi il a un rôle important dans le passage du matériel inconscient au matériel conscient. Freud articulera le fantasme à la pulsion et au désir. Le désir est la source du fantasme et inversement. La découverte du caractère imaginaire des traumatismes rapportés par ses patients comme causes de leurs difficultés, fut un moment déterminant dans l’élaboration de la théorie freudienne et amena l’organisation pulsionnelle de la sexualité infantile. En 1897, la psychanalyse naît et ce, à partir du traumatisme. Freud écrivit à Fliess qu’il abandonnait sa théorie de la séduction : « Je ne crois plus à ma Neurotica. Il n’existe dans l’inconscient aucun indice de réalité, de telle sorte qu’il est impossible de distinguer vérité et fiction, c’est pourquoi une solution est fournie par le fantasme sexuel qui se joue autour des parents.[3] » Autrement dit, puisque vérité et fiction ne sont pas discernables, la subjectivité tout entière est organisée par les fantasmes. Ils transforment les perceptions et les souvenirs, « sont à l’origine des rêves, des lapsus, des actes manqués, s’expriment dans les rêveries diurnes, cherchent à s’actualiser, de façons plus ou moins déguisées, par les choix professionnels, relationnels, sexuels et affectifs du sujet[4] » ; ce qui marque le caractère circulaire entre fantasme et désir. En relisant Freud, Lacan crée le concept de réel pour l’opposer à la réalité[5], qui elle, est subjective, il n’y a pas de réel dans la réalité du sujet, tout est vécu par notre propre prisme, notre propre fenêtre, à travers notre fantasme fondamental. Il faudra, pour déplier un trauma, passer par l’analyse du sexuel de l’enfance dans la scène familiale. Le trauma peut se répéter, dans ce cas, reconnaître la situation traumatique peut amener un premier apaisement. La cure consiste à faire un travail d’élaboration des traumas, d’analyser les pulsions[6] et ses objets, et de repérer la position du sujet de la position d’objet. Quant à l’interprétation, elle est la technique qui permet de rendre conscient une partie de l’inconscient.

Un troumatisme

Le traumatisme peut être considéré comme une effraction dans les défenses, un excès massif d’excitations[7] submergeant l’appareil psychique et mettant hors d’usage le principe de plaisir. L’évènement se produit dans un état de passivité et un manque de préparation à la violence de l’effraction est la condition psychique à cet effroi. Ce qui indique que l’angoisse, qui prépare le sujet en signalant un danger, est le dernier rempart de défense de l’appareil psychique. Puisque le principe de plaisir est paralysé, le sujet se trouve dans l’au-delà du principe de plaisir, et cherche sa satisfaction, urgente, dans la décharge pulsionnelle. La question du traumatisme permet à Freud de mettre en évidence le phénomène d’après-coup. D’abord il y a le vécu de la scène traumatique, puis un événement, potentiellement mineur, lié à cette scène par un trait associatif apparemment insignifiant, advient et déclenche un symptôme de conversion. Ce n’est pas l’affect qui est refoulé mais le signifiant auquel il est lié, et Freud et Lacan sont d’accord sur ce point. Lacan parlera de « troumatisme », d’un signifiant faisant effraction dans le réel pulsionnel, le traumatisme que constitue la rencontre réelle avec l’Autre langagier, c’est-à-dire qu’il y a un trou dans le symbolique qui ne prend pas en charge le réel. Freud n’est pas très loin du signifiant en parlant de traces mnésiques : « L’angoisse, n’est pas engendrée à partir du néant lors du refoulement, mais reproduite comme état d’affect d’après une image mnésique préexistante. […] Les états d’affect sont intégrés à la vie psychique sous forme de précipités d’expériences traumatiques très anciennes et sont réveillées dans des situations analogues à celles des symboles mnésiques.[8] ». Il faut, en somme, qu’il y ait déjà eu du refoulé pour que se produise le refoulement, et que ce qui est premier n’est pas l’affect mais le signifiant. Il fait ainsi l’hypothèse d’un refoulement originaire et note que l’analyse permet de modifier les défenses archaïques du moi : « Tous les refoulements se produisent dans la première enfance ; ce sont des mesures de défense primitive du moi immature et faible. Dans les années ultérieures, aucun nouveau refoulement ne s’accomplit, mais les anciens se maintiennent et le moi continue à recourir à leurs services en vue de la domination sur les pulsions. […] Mais l’analyse amène le moi, qui mûrit et s’est fortifié, à réviser ces anciens refoulements […] La correction après coup du processus de refoulement originaire, laquelle met fin à la puissance excessive du facteur quantitatif, serait donc l’opération proprement dite de la thérapie analytique.[9] ». Le fantasme fondamental est la réponse que le sujet va s’inventer face au refoulement originaire et ce, même si le fantasme n’est pas fondé sur un événement réel, la valeur pathogène est la même que si l’événement avait effectivement eu lieu. Le fantasme nous protège du réel, il fait à la réalité son cadre[10]. Ce vécu n’est bien souvent traumatique que parce qu’il se superpose à un fantasme inconscient déjà là et souvent associé à de la honte[11] ; c’est l’objet de pulsion qui oriente ce fantasme, et donc aussi, doit orienter la cure. L’objet de pulsion ouvre la voie à l’objet a cause du désir, objet manquant donc fantasmé. Effectivement, analyser un fantasme c’est analyser l’objet de la pulsion : « le fantasme est une fenêtre sur le réel pulsionnel[12] ».

Une structure du fantasme

Un point intéressant à soulever ici est l’approche différente du trauma entre Freud et Lacan. Freud cherche un événement précoce, une cause issue de la prime enfance, pour lui le traumatisme est essentiellement évènementiel. Lacan s’orientera du côté de la structure puisque le refoulement est une opération universelle. Freud ne franchit pas complètement le pas de la structure, néanmoins il proposera des fantasmes originaires (scène primitive, séduction, castration), ou encore le fantasme On bat un enfant, qui seront transindividuels. Travailler avec une structure est plus aisé, elle peut être comparée à une autre structure et concerne tout névrosé. Grâce à elle, Lacan fera ainsi avancer la théorie de Freud : il va démontrer dans le séminaire L’angoisse que la structure du fantasme et celle de la castration sont les mêmes, pour finalement en arriver à proposer ce moyen de dépassement que constitue la traversée du fantasme.

La traversée du fantasme

De l’angoisse à la pulsion

Le dénominateur commun au fantasme et à la castration, c’est bien l’objet de pulsion, et particulièrement l’objet a, à jamais perdu. L’angoisse cause le refoulement, donc elle cause aussi les échecs du refoulement, ce qui sera « mal » refoulé comme les symptômes, inhibitions, et autres retours du refoulé. Elle surgit lorsque la rencontre entre le réel et le réseau des signifiants rate (Tuché et Automaton), elle surgit lors d’un évènement traumatique et la répétition de celui-ci, elle est un signal d’alarme du moi pour se défendre contre la pulsion pour refouler un signifiant (donc une défense contre le traumatisme), mais surtout, l’angoisse n’est pas sans objet, et elle surgit lorsque l’objet a, cause du désir, n’est pas loin :  « ce que je viens de vous dresser de la fonction du fantasme […] c’est qu’il y a bien quelque chose du a qui apparaît au lieu d’apparition de l’angoisse. Ce fantasme, dont le névrosé se sert, qu’il organise au moment où il en use, c’est ce qui lui sert le mieux à se défendre de l’angoisse […] dans la mesure où c’est un a postiche.[13] ». L’angoisse est un signal pour éviter la rencontre avec l’objet a, laquelle ne se fait jamais sans angoisse. Dans la cure, les moments d’angoisse sont précieux, car ils témoignent de ce dont le névrosé veut éviter, et mettent l’analyste et le sujet sur la voie de son désir et de l’objet cause du désir. Le travail de l’analyste est d’obtenir que son analysant consente à céder son angoisse, l’approche peut être très pratique, en interrogeant, par exemple, les bords qui la structurent : quand est-ce qu’elle a commencé ? Que faisiez-vous, à quoi vous pensiez à ce moment ? Comment s’est-elle finie ? Laisser libre cours à l’association libre, et petit à petit le trou de l’angoisse se resserre, permettant une réduction des symptômes. Parce que l’angoisse est un signal de danger, le trauma est relatif et le refoulement originaire ne peut avoir lieu que dans la prime enfance, au moment où l’appareil psychique n’a pas encore développé ce type de défense. Lorsque l’inconscient ne peut pas prendre en compte cet éveil pulsionnel, l’enfant est démuni et la pulsion déborde.

De la pulsion aux symptômes

Le principe de plaisir est de maintenir l’appareil psychique dans des limites de l’acceptable pulsionnel. Lorsque la pulsion déborde, c’est-à-dire lorsqu’elle est en excès, elle devient une pulsion de mort. Par exemple, un patient en dialyse peut se suicider par excès de sucre, donc un même objet peut satisfaire la pulsion orale ou, par excès servir la pulsion de mort. La pulsion de mort a trois destins possibles selon Freud[14]. Elle peut fusionner avec la pulsion sexuelle, dévier vers l’extérieur et se muer en violence, ou rester à l’intérieur et se manifester en autodestruction. Comment métamorphoser les deux derniers destins en le premier ? Lorsque cette métamorphose ne se fait pas, il y a trauma. Lorsque le trauma ne trouve pas la solution d’un nouage pulsionnel, c’est que la pulsion reste libre. D’où l’idée de Lacan d’aider le patient à « symptraumatiser », c’est-à-dire transformer psychiquement le trauma en symptôme dans la cure. Le symptôme est presque un succès du refoulement parce qu’il réussit à maintenir la représentation pulsionnelle désagréable à distance, il se comporte tel un compromis entre l’acceptation de la pulsion et son refoulement, il est un message de l’inconscient. De cette manière, le fantasme et la pulsion sont noués par les symptômes. Dans ce premier temps de la cure, symptraumatiser le patient permet au symbolique de prendre en partie en charge le réel ; et lui procure ainsi un apaisement de ce vécu traumatique.

Le symptôme est déterminé par le fantasme

Le symptôme est réel, il fait « signe de quelque chose qui est ce qui ne va pas dans le réel. […] Il est l’effet du symbolique dans le réel[15] », c’est une construction symbolique qui est revenue recouvrir le réel, c’est le « c’est absurde, mais je ne peux pas m’en empêcher ! » du patient. Le symptôme est un ersatz de jouissance, sa cause est pulsionnelle, apportant ainsi un bénéfice secondaire au patient, raison pour laquelle il ne veut pas lâcher son symptôme en manifestant différents types de résistances. D’ailleurs, en tant que réel, de trou dans le sens, il fait l’objet de la demande thérapeutique auprès de l’analyste, et incite le patient à aller chercher un savoir que sa raison ne lui procure pas. Au au-delà de cette division du sujet, le patient suppose trouver son meilleur savoir. Le symptôme est « adressé » et cause de la demande, donc il est de facto noué au transfert, il sera un point de départ clinique et orientera l’analyste. Construit par la subjectivité, c’est un trait qui nous singularise, il est déterminé par le fantasme :  « La technique de la psychanalyse permet, à partir des symptômes, de deviner tout d’abord ces fantasmes inconscients et ensuite de les rendre conscients chez le malade. Cette méthode d’investigation psychanalytique mène des symptômes patents aux fantasmes inconscients cachés[16] ». Lacan envisageait le traitement du symptôme telle une déconstruction de son sens, le symptôme étant un trou dans le sens, dans la connais-sens. Cette déconstruction du sens permet de démonter la jouis-sens associée au bénéfice secondaire. Les premières traces phoniques que l’enfant enregistre, qui combinées entre elles donnent le signifiant, font partie de ses premières expériences de jouissance et construisent la pulsion. La sonorité, la lettre, produit des équivoques et a des effets en soulevant des affects pulsionnels. D’où la scansion signifiante de l’analyste, lorsqu’une équivocité signifiante est entendue par l’homophonie, la grammaticalité ou la logique. Cette coupure officie une ponctuation singulière, son effet est de faire advenir un sens à partir du non-sens de la polysémie signifiante à l’œuvre dans les associations du patient. Trancher permet de remettre à sa juste place le réel permettant la libération de la construction symbolique du patient qui recouvrait le réel, autrement dit, c’est lever le voile du fantasme. Le fantasme a une grammaire qui est à retrouver ou à construire dans la cure, il est une mise en scène du désir dans laquelle le sujet est représenté, il soutient le désir et permet d’accéder à la jouissance autoérotique (ce que Freud expose dans le fantasme On bat un enfant), essentielle à la fonction du désir.[17]

Et le fantasme devient pulsion

La névrose de transfert, l’analyste devenu a

Le transfert réveille la com-pulsion[18] à répéter les fantasmes, de ce fait, le transfert est une des formations de l’inconscient au même titre que les symptômes, les rêves, les lapsus, etc. La conduite de l’analyste est, dans le transfert, de venir à la place de cet objet de fantasme, il se fait objet a, afin de ramener l’aliénation du patient dans la cure, sur la personne de l’analyste, dans le but de pouvoir traiter et analyser les conflits inconscients qui sous-tendent le fantasme et les symptômes du patient. Dans la cure, l’analyste ne demande rien au névrosé, c’est de cela qu’il est privé. À partir de ce point, l’analysant commence à articuler ses propres demandes qui resteront sans réponse, créant ainsi la frustration. Dans la mesure où la demande reste sans réponse, l’agressivité peut entrer en jeu pour remettre en question l’image spéculaire. Le sujet va ainsi épuiser ses rages les unes après les autres, et ces successions l’approchent de plus en plus des demandes originelles, c’est la régression. Par ce cycle, demande-frustration-agression-régression, l’analysant s’aliène au signifiant de sa demande, à un trait et ébauche ses identifications à l’Autre, la genèse de l’objet d’amour se dégage peu à peu ; c’est la névrose de transfert. Le désir de l’analyste ramènera sans cesse l’analysant à ses demandes, toujours plus originelles, à leurs sources pulsionnelles, isolant peu à peu l’objet a. Cet isolement permettra de construire le fantasme dans la cure. En révélant les fantasmes inconscients qui déterminent un symptôme, ce dernier peut disparaître, c’est la traversée du fantasme de Lacan. La cause du symptôme est toujours pulsionnelle donc lorsqu’un refoulement est levé sur une satisfaction symptomatique, l’analysant a accès à un savoir sur son mode de jouissance pulsionnelle, traduit en acte par le symptôme[19], et ce savoir permet souvent de l’éteindre. Ce franchissement est corrélé à l’identification, un effacement de l’Autre par épuisement des manœuvres de la demande, expliquant du même coup, la chute de l’analyste qui a été mis en position d’idéal. Le sujet ne s’identifiera plus à cet idéal que représentait l’analyste, mais à son objet a, cause du désir. Autrement dit, il adviendra là où était la pulsion, sans en avoir aucune connaissance, et il deviendra sujet de ses pulsions, ce que signifie l’adage freudien « Là où Ça était, Je dois advenir ». Il est donc capital que l’analyste veille à ce que la cure se déroule dans un autre registre que celui de la jouissance de l’objet, puisque l’objet organise toute la subjectivité du patient, fantasme, symptômes, angoisses. Un patient installé dans un transfert dont sa dynamique repose sur son objet de jouissance risque de rendre l’analyse interminable. La congruence de l’analyste et l’accord de son acte analytique à l’objet de jouissance de l’analysant permettent d’éviter, ou tout du moins limiter, ce risque, c’est aussi ce qui singularise la cure.

L’expulsion de l’objet

Dans L’angoisse, Lacan associera la fin de l’analyse à l’expulsion de l’objet a, ce qui implique également la destitution, le rejet, de l’analyste qui se sera fait objet a pour le patient. Lacan fera cette métaphore qui reliera cette expulsion, cette fin d’analyse et également la castration : « Expulsions des globules polaires dans la méiose ; autrement dit dans ce dont se débarrassent les cellules sexuelles dans leur maturation. La castration, c’est vraiment ça.[20] », cette expulsion de l’objet, finalement on le retrouve déjà dans le mythe d’Œdipe. En effet, lorsqu’Œdipe découvre la vérité, pulsion de ça-voir, elle lui est tellement horrible qu’il s’arrache les yeux, objet regard, objet a, castration acceptée, fantasme franchit. Lacan indique qu’à la fin de l’analyse, « l’expérience du fantasme devient la pulsion[21] » donc que/comment fait désormais Œdipe de ses pulsions ? Un autre point intéressant de ce mythe, c’est que dans l’ensemble des textes que nous avons, les fins de ce mythe différent à partir de ce moment où Œdipe se crève les yeux.

Et au-delà ?

« Que devient alors celui qui a passé par l’expérience de ce rapport opaque, à l’origine, à la pulsion ? Comment un sujet qui a traversé le fantasme radical peut-il vivre sa pulsion ?[22] ». Dépassons-nous l’indépassable roc de la castration pour nous cogner à l’impasse de la structure du fantasme ? Y a-t-il une issue ? Quelle issue ? L’analyse est vouée au ratage[23] selon Lacan et il s’agit de réussir ce ratage, c’est-à-dire de mener l’analysant à ce point d’impossible. Ce n’est pas une voie sans issue, c’est un point de rebroussement permettant de changer radicalement sa direction et vision des choses, et également un point d’insertion qui permet au sujet advenu de s’inscrire dans le réel, face aux impasses que constituent les trois dit-mensions[24] telles qu’elles se déploient dans le sexe, le sens et la signification. C’est le moment où le sujet peut obtenir une solution inconsciente à son fantasme fondamental qu’il a élaboré dès son plus jeune âge, l’analysant saura s’en faire une conduite, autrement dit un savoir y faire non seulement avec ses symptômes mais aussi avec sa structure de fantasme. Doit-on fantasmer la traversée du fantasme ?


[1] Lacan, Séminaire L’angoisse, Edition du Seuil, p.383.

[2] Freud, L’analyse finie et infinie, éditions PUF, chapitre VIII, pp.40-43.

[3] Freud, Naissance de la psychanalyse, PUF, p191

[4] Chemama et Vandermersch, Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, 2018, p.193.

[5] En lien avec les jugements d’attribution et d’existence, liés à l’objet perdu (réel) donc cherché et fantasmé (réalité).

[6] Lacan, Ecrits, éditions du Seuil, 1966, p.823.

[7] En termes lacanien : un excès de jouissance

[8] Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, éditions Payot et Rivages, 2014, chapitre II, pp.96-97.

[9] Freud, L’analyse finie et l’analyse infinie, éditions PUF, 2019, p.16.

[10] Lacan, L’angoisse, leçon 19 décembre 1962, éditions du Seuil, 2004, p.89.

[11] Par exemples, le fantasme On bat un enfant [en ligne] ou encore les fantasmes originaires de séduction avec acte(s) de pédophilie avéré(s), où la victime n’ose pas le dénoncer parce qu’elle se sent paradoxalement coupable.

[12] Lacan parle de « la fenêtre sur le réel qui ne se voit » pas dans L’angoisse, leçon du 19 décembre 1962, éditions du Seuil, p.89.

[13] Lacan, Séminaire L’angoisse, éditions du Seuil, 2004, p.63.

[14] Freud, Au-delà du principe de plaisir, 1920

[15] Lacan, RSI, leçon du 10 décembre 1974, éditions AFI, 1999, p.26.

[16] Freud, Névroses, psychoses et perversions, 1908.

[17] Razavet, De Freud à Lacan, éditions Deboeck, 2016, pp.214-218.

[18] Le préfixe français com- vient du préfixe latin con- (« avec »). Puis, Pulsio dérivé de Pellere (« pousser, repousser, mettre en mouvement »).

[19] « La pulsion est le concept frontière entre le psychique et le somatique », Freud dans Pulsions et destin des pulsions, éditions Payot et Rivages, 2012, p.66.

[20] Lacan, L’acte psychanalytique, leçon du 21 février 1968, éditions AFI, 1997, p.173.

[21] Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, éditions du Seuil, 1973, p.245.

[22] Ibid, pp.245-246.

[23] Lacan, Psychothérapie et psychanalyse, 10/12/1968, Congrès de l’EFP Strasbourg, [en ligne]

[24] Lacan, L’étourdit, 1972 [en ligne]

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